
Revue stratégique annuelle – janvier 22
LE RETOUR DE L’INFLATION
Rétrospective
Une inflation nettement plus forte qu’attendue
L’inflation américaine a augmenté en novembre à un rythme inédit en près de 40 ans. La hausse des prix s’est élevée à 6,8%. De nombreux facteurs ont contribué à cette envolée, qu’ils soient transitoires ou plus structurels.
Au même moment, l’inflation dans la zone euro a atteint un niveau record en novembre à 4,9%, toujours propulsé par des prix de l’énergie en hausse constante. Elle s’établit à un niveau jamais enregistré depuis l’avènement de l’euro.
Des marchés obligataires sous pression
Les taux d’intérêt des emprunts gouvernementaux à 10 ans sont globalement remontés. La poursuite des achats d’actifs par les principales banques centrales ont permis d’éviter une correction obligataire plus marquée compte tenu du niveau d’inflation.
Aux États-Unis, les taux des bons du Trésor à 10 ans sont passés de 0,9% en début d’année à 1,5% actuellement. Les taux ont progressé dans la zone euro et en Suisse aussi, mais dans une moindre mesure. Devant cette évolution, les marchés obligataires sont restés en territoire négatif pendant l’année, à l’exception des obligations à haut rendement.
Le crédit – les obligations privées – a également été soutenu par les achats des banques centrales, la recherche de rendement des investisseurs et la bonne tenue de leurs résultats.
De nouveaux record sur les marchés d’actions
Les marchés d’actions mondiaux ont poursuivi sur leur lancée de 2020. Les marchés régionaux, dont la Suisse, ont atteint de nouveaux sommets, portés en grande partie par les bons résultats des entreprises et l’état d’esprit des investisseurs qu’il n’y a pas d’autre alternative (TINA):
- L’apparition du variant Omicron est venu semer le trouble, générant une forte volatilité sur les marchés financiers mondiaux.
- Les sociétés technologiques américaines ont une nouvelle fois tiré leur épingle du jeu. Elles ont affiché près de 2 fois la performance du marché.
Le prix de l’or n’a cessé de baisser depuis août 2020, passant brièvement en-dessous des 1’700 dollars l’once en mars 2021. Depuis, il s’est redressé pour ensuite évoluer latéralement.
Des changements de paradigmes
2021 aura été un tournant dans l’industrie automobile. Tous les groupes ont annoncé vouloir tourner la page du moteur thermique alors qu’il y a peu encore, ils voulaient remplacer l’essence et le diesel par des biocarburants. Mais il est trop tard. Les préoccupations sur le climat, la Chine (encore elle) et son marché ont imposé un virage technologique radical. On parlera encore beaucoup de la voiture électrique en 2022.
Pékin se montre de plus en plus autoritaire à l’égard du business. Les autorités font la chasse aux patrons trop extravertis et critiques envers le pouvoir. Par ailleurs, les conflits avec les investisseurs étrangers se multiplient. Une forme de guerre froide s’installe entre Pékin et Washington. À l’interne, le président Xi Jinping fait la morale à la jeunesse et menace les firmes occidentales qui refusent de se plier aux règles particulières édictées par Pékin. Les actions chinoises affichent les plus mauvaises performances parmi les grands marchés.
Les attentes d’une Réserve fédérale américaine moins accommodante – qui se sont concrétisées en fin d’année – ont été un soutien continu à l’USD.
Les devises des pays émergents ont pâti de politiques vaccinales défaillantes malgré des banques centrales relevant quasiment toutes leurs taux directeurs.
Une année 2021 compliquée pour les obligations gouvernementales. Les obligations d’Etat chinoises ont confirmé leur statut de valeurs décorrélées. Tandis que celles des pays développés ont affiché des performances négatives.
Dans la sphère du crédit, le High Yield une fois encore affiche des performances positives, tandis que les émergents ont sous-performé.
Une année fantastique sur les marchés d’actions, l’indice monde affichant une performance supérieure à 20%.
Dans ce contexte sanitaire si particulier, les actions émergents ont sous-performé en grande partie à cause de la Chine. Les mesures prises par le gouvernement central n’ont pas incité les investisseurs a favorisé la région.
Une année marquée par la hausse des prix de l’énergie, mais pas que.
Le cobalt a plus que doublé. Il est le matériaux privilégié de la transition énergétique vers une économie bas carbone. Les énergies renouvelables et les mobilités électriques sont très consommatrices de matériaux.
Macroéconomie
La croissance des pays développés ralentit
Les indicateurs de décembre ont fourni une note nuancée pour clore l’année, la dynamique de croissance dans les principales économies développées s’étant tassée au cours du dernier mois de l’année. Cela dit, la production manufacturière globale a augmenté, soutenue par un assouplissement des contraintes d’approvisionnement dans les économies occidentales, les prix pourraient avoir atteint un pic dans ces régions. La croissance du secteur des services a quant à elle été mise sous pression alors que la vague croissante de COVID-19 a frappé les États-Unis, le Royaume-Uni et la zone euro, tandis que le Japon l’a vue après la relance initiale. L’émergence d’Omicron augmente les risques.
Les enquêtes Flash PMI pour décembre ont montré un ralentissement de la croissance économique dans les quatre plus grandes économies développées, bien que toujours solide. Une reprise des cas de COVID dans les économies occidentales jusqu’aux derniers mois de 2021 a affecté l’activité du secteur des services en décembre, et particulièrement les économies européennes dont les derniers indicateurs s’éloignent de leurs pics d’été. En décembre, la croissance de la zone euro est retombée à son plus bas niveau en neuf mois, l’économie allemande stagnant pour la première fois en un an et demi.
Les contraintes d’approvisionnement s’atténuent, mais les pressions sur les prix restent élevées
Les délais de livraison des fournisseurs restent élevés en décembre, mais ont reculé à leur plus bas niveau depuis août, suggérant que nous assistons à un retournement de la situation. La baisse avait été soutenue par une augmentation plus lente des délais de livraison dans les pays du G4, à l’exception du Japon. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la zone euro ont tous connu une forte baisse du taux d’allongement des délais, les délais de livraison au Royaume-Uni s’allongeant au rythme le plus lent depuis décembre 2020 et la zone euro signalant le moins de retards depuis janvier. Les délais de livraison aux États-Unis se sont quant à eux le moins rallongés depuis mai.
Un assouplissement des problèmes de production liés au COVID signalés précédemment en Asie a probablement amélioré la situation de l’approvisionnement mondial, bien que la portée du variant Omicron dans les économies asiatiques continue d’assombrir les perspectives.
Stratégie
Forte volatilité macroéconomique
La pandémie et les distorsions qui en découlent sont persistantes, tant que l’accès des pays émergents aux vaccins est limité. L’augmentation de la volatilité macroéconomique impose un changement, difficile, des politiques économiques. L’inflation et les déséquilibres hérités de la pandémie augmentent les risques d’un cycle court et heurté. Le découplage entre le G7 et la Chine s’intensifie. La Chine s’engage dans une année politiquement cruciale. La valorisation généreuse de la plupart des actifs et la résurgence de la volatilité des marchés représentent une vulnérabilité potentielle, compte tenu du levier financier considérable des investisseurs institutionnels et particuliers.
Deux modèles diamétralement différents
L’épargne des ménages chinois est fortement concentrée sur les liquidités et l’immobilier, à plus de 50%. Cela impose une politique monétaire orthodoxe et donc les taux d’intérêt réels positifs de la PBoC. Politiquement, le Politburo ne pourra tolérer l’effondrement l’immobilier, qui risquerait de déstabiliser la paix sociale. L’économie américaine est fortement financiarisée. Les actifs financiers liquides et illiquides (PE, HF) représentent plus de 60% de l’épargne des ménages en 2020. C’est la conséquence de la répression financière. L’économie/consommation ne supporterait pas un krach financier.
Facteurs Structurels
Il existe 3 perturbateurs séculaires. Le climat impose des transitions trépidantes vers des économies vertes. Cela entraînera des investissements importants, une inflation plus élevée, de nouvelles réglementations et impôts. L’Europe mène la charge. La technologie. L’accélération de la numérisation impacte durablement les marchés du travail. Les inégalités imposent des politiques qui redressent la quote-part du facteur travail au PIB.
Contexte d’investissement
Au premier semestre 22, la transition de la stagflation à la « growth-flation » dans le G7 se fera progressivement et la Chine connaîtra un atterrissage en douceur. Les craintes liées à l’inflation et à la croissance continueront de perturber temporairement les marchés. Moins supportifs, les taux réels négatifs et le régime d’inflation des actifs resteront en place en 2022. Les acteurs à effet de levier ajouteront à la volatilité à court terme, car ils devront supporter des conditions plus défavorables avec des liquidités moins abondantes.
La normalisation des politiques économiques impose des conditions financières moins favorables à l’avenir.
Devises
Une politique monétaire plus stricte arrive d’Amérique du Nord/Royaume-Uni et sera différente du reste du monde.
Une Fed plus autoritaire a adopté un ton ferme dans le but d’atténuer les risques inflationnistes grâce à la normalisation agressive de sa politique. Depuis début septembre, les prévisions d’inflation et les anticipations de Fed Funds ont été revues à la hausse en termes absolus et relatifs. L’écart de production positif de l’économie US est l’une des raisons pour lesquelles la Fed a devancé les autres pays développés dans le cadre de la normalisation de sa politique. Le renforcement du dollar US joue son rôle dans le durcissement des conditions monétaires américaines. Dans un monde où les banques centrales européenne, suisse et japonaise tardent à agir, les gains de l’USD devraient se faire en grande partie au détriment des devises à faibles rendements.
Alors que le T1 2022 devrait voir une nouvelle fois un USD plus fort cette donnée évoluera au fil de l’année. Nous ne serions pas surpris de voir le sommet du dollar atteint juste avant la 1ère hausse des taux de la Fed. D’ici là, beaucoup de choses seront probablement intégrées dans la courbe des taux US et le marché des changes.
Changement de régime de volatilité
Après des mois de baisses régulières et de phases de stabilité, la volatilité implicite et réalisée sur le marché des changes vient juste de se retourner. En seulement un trimestre, la volatilité implicite a plongé à 5,5 – 5ème percentile des 2 dernières décennies – juste avant de dépasser les 7. Il s’agit d’un mouvement impressionnant dans un contexte de régime de très faible volatilité, mais toujours en deçà de sa moyenne de long terme.
Après le choc de liquidité de mars 2020 dû à la propagation de la crise du COVID hors de Chine, les injections monétaires massives des banques centrales ont mécaniquement dilué le marché des changes. La Fed ayant récemment lancé puis accéléré la réduction de son programme d’achat d’actifs, elle restera une force sous-jacente soutenant une volatilité plus élevée des devises. De plus, la volatilité des devises est à la traîne par rapport aux autres classes d’actifs, comme les obligations. Compte tenu des différentes décisions de politique monétaire, la volatilité ne sera plus sous le contrôle des banques centrales.
Obligations
Virage agressif de la Fed
La Fed a amorcé un virage agressif en accélérant son tapering, tout en annonçant des hausses de taux nettement plus importantes en 2022/2023. Les achats d’actifs ralentiront à 60 milliards en janvier avec un terme attendu en mars. Trois hausses de taux en 2022 sont désormais indiquées par les « dots » (0,875%), trois autres en 2023 (1,625%) et deux nouvelles en 2024 (2,125%). Alors que le changement dans les anticipations de taux courts semble drastique, par certains aspects la Fed a simplement décalé les attentes. Les « dots » pour 2024 n’ont que légèrement augmenté, tout en demeurant en-dessous du taux neutre des 2,5%.
La BCE poursuivra ses achats d’actifs dans son programme pandémique à un rythme plus lent et les arrêtera en mars 2022. Pour éviter une forte réduction de la liquidité au T1, elle prévoit d’augmenter temporairement les achats d’actifs d’autres programmes jusqu’au T3 2022. La BCE s’attend toujours à une inflation transitoire. Pas de hausse de taux avant début 2023.
Le taux directeur de la BNS restera inchangé. Elle continuera à intervenir sur le marché des changes au besoin. Le contexte plus inflationniste la rend moins préoccupée par la déflation. Elle devrait tolérer un CHF légèrement plus élevé compte tenu de son approche en termes réels. Le resserrement des politiques monétaires dans le monde devrait soulager la BNS.
Conjonction de facteurs plus favorables aux marchés émergents
Les actifs émergents ont été pénalisés en 2021 par un processus vaccinal lent et dans une certaine mesure par une hausse de la prime de risque politique. Cependant, la Turquie et le Brésil demeurent de faibles contributeurs au segment émergent global. Le début du tapering a rappelé à certains investisseurs la vulnérabilité des émergents (EM) lors de l’épisode du taper tantrum de 2013. Le marché de la dette émergente est en bien meilleure position pour absorber le resserrement monétaire US de 2022/2023. Contrairement à 2013, la plupart de ces banques centrales ont resserré avant le tapering. D’autres facteurs peuvent contribuer à cette relative résilience :
- Les soldes courants se sont considérablement améliorés par rapport à 2013.
- La dynamique des flux a récemment été moins favorable qu’en 2012.
- Depuis 2013, les souverains émergents se sont tournés vers le marché domestique.
Actions
La règle d’or : Don’t bet against stocks unless you think that there is a recession around the corner.
Nous restons positifs sur les actions en 2022. Historiquement, les actions se comportent bien au début d’un cycle de resserrement monétaire. La croissance économique soutiendra les actions. On deviendra plus prudent en 2023 avec un cycle économique plus avancé.
En 2021, les actifs risqués ont bénéficié de l’abondance de liquidités, de taux d’intérêt bas et d’une forte reprise des résultats des sociétés. Nous restons positifs pour 2022. La Fed entre dans un cycle de resserrement monétaire, mais si l’histoire se répète, les actions se comportent bien au début d’un tel cycle.
Les prix à la production sont fortement montés en raison de la hausse des salaires à cause d’une pénurie de main-d’oeuvre, de disruptions dans les chaînes de production et d’approvisionnement, et de la hausse des prix des matériaux de base. On surveillera l’effet de base positif dès mars 2022. On observe déjà un processus de normalisation dans la logistique (les prix du transport baissent) et dans la production.
Pour les bears, la progression modérée des profits US attendue à +10% en 2022 et +7% pour les revenus pourrait expliquer des performances boursières médiocres en 2022. Au contraire, ces taux de progressions vont démontrer la solidité des profits et des revenus, car l’effet de base sera important.
Malgré la hausse des coûts d’exploitation (salaires, matériaux de base, logistique), les marges nettes se maintiendront à des niveaux élevés, démontrant la capacité des entreprises à passer la hausse des coûts sur les clients et améliorer la productivité. Poussées par la pandémie et la déglobalisation (réindustrialisation dans les pays développés), les entreprises évoluent en adoptant de nouveaux comportements et/ou modèles d’affaires, favorables aux profits. En 2022, nous tablons sur un restockage dans les entreprises, une hausse de la consommation des ménages et les effets positifs des plans de relance importants aux Etats-Unis et en Europe.
Les autres facteurs positifs pour les actions seront :
- Les importantes liquidités parquées dans les fonds monétaires prêtes à revenir sur les actions,
- Les programmes de rachats d’actions, et
- Les fusions et acquisitions.
Matières premières
Pétrole et métaux industriels ont bien résisté pendant la pandémie
Sur le long terme, absence de grands projets, géopolitique et transition énergétique soutiennent le Supercycle. En octobre, la crise du gaz en Europe et celle du charbon en Chine et en Inde montrent que les énergies fossiles restent indispensables.
Les prix du pétrole et des métaux industriels ont bien résisté durant cette pandémie malgré le ralentissement économique chinois, sachant que la Chine consomme 50% de l’offre mondiale de métaux industriels. 40% de l’offre de pétrole est contrôlée par l’OPEP+, alors que l’offre de métaux industriels a été perturbée par la pandémie et des crises sociales dans certaines mines d’Amérique du Sud.
La demande a augmenté en 2021 avec la reprise économique et, pour les métaux industriels, la demande venant de la transition énergétique (électrification des véhicules, solaires, éoliens) est venue se rajouter. En 2022 et les années suivantes, les dépenses américaines dans l’infrastructure stimuleront la demande. La crise du gaz en Europe et celle du charbon en Chine et en Inde ont montré qu’il sera difficile de réduire la consommation des énergies fossiles au risque de créer une décroissance économique par des problèmes de production d’électricité et/ou sociaux. En Inde, le charbon est une source d’énergie bon marché dans un pays pauvre où imposer les énergies renouvelables est impossible.
L’or évolue avec les taux réels
Entre novembre 2018 et juin 2020, le cours de l’once d’or était passé de $1’200 à $2’065 en raison de la chute du taux réels 10 ans US. Depuis juillet 2020, le taux réels 10 ans US se stabilise, ainsi que le cours de l’or. La détention d’or dans les produits financiers a reculé de 12% en 2021.
L’or souffre de la concurrence des cryptomonnaies qui sont également des actifs financiers et décorrélés aux autres actifs. L’évolution de l’inflation sera un paramètre important pour l’or : un dérapage inflationniste serait favorable à l’or, alors qu’une inflation revenant vers les 3.5% au 2S22 serait défavorable.
Allocations
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