
Revue mensuelle d’investissement – novembre 21
Vision globale
Régime macroéconomique à long terme – Croissance inférieure au potentiel et inflation plus volatile. La démographie et la dette sapent la croissance potentielle. Associées à la numérisation, elles alimentent des pressions désinflationnistes séculaires qui se heurtent à des tensions inflationnistes cycliques.
Liquidités abondantes mais en perte de vitesse – La liquidité est abondante, mais son élan s’estompe. Le tapering va renforcer cette tendance. L’aplatissement mondial des courbes de taux anticipe aussi cet environnement de liquidité moins favorable.
Coup de mou au S2 21. L’expansion est retardée, mais probablement pas enterrée – Coup de mou avec une croissance molle en Chine et une inflation en hausse. Expansion mondiale plus ferme au S1 22. Entrée dans un cycle monétaire particulier où les États-Unis sont à la traîne des pays émergents et des autres pays anglo-saxons.
Géopolitique. Un paysage complexe de G-Zéro – L’échec afghan fait douter de la fiabilité de la garantie stratégique américaine. Alliance menaçante de la Chine et de la Russie. L’Indopacifique comme nouvel épicentre du monde (Taïwan).
Des flux de capitaux dynamiques – Un regain d’afflux d’institutions dans les ETF passifs, compensé par une moindre frénésie des particuliers.
Les actifs de qualité sont rares et coûteux – La répression financière va se poursuivre dans un avenir prévisible. Les taux longs américains resteront dans la fourchette (1,5% – 2,0%) au S1 22.
Appétit pour le risque un peu moins fort – Le mouvement de reflation s’essouffle. Il faudra de nouvelles initiatives de la Fed et un rebond de la croissance pour qu’il reprenne.
Le point d’inflexion de la macroéconomie mondiale – La croissance mondiale a décéléré et l’inflation a augmenté. Cela va se poursuivre pendant un certain temps. Les États-Unis vont s’essouffler d’ici la fin de l’année, en raison de la résurgence de la Covid, de l’escalade des perturbations dans les chaines de production et de la rentrée scolaire hésitante. La traction de la Chine et sa contribution à la croissance mondiale seront moindres. Les probabilités de stagflation augmentent avec le bond de 10,7 % de l’indice des prix à la production en septembre, son rythme le plus rapide depuis octobre 1996. La transformation de la Chine se traduira par une moindre contribution à la croissance mondiale. Elle n’exportera plus de désinflation. Mais une transition mondiale du brun au vert signifie que les investissements privés et publics dans les sources d’énergie renouvelables donneront un coup de fouet séculaire. La pandémie accélère la numérisation et l’automatisation, favorisant la productivité.
La croissance mondiale se rapprochera de son potentiel au S1 2022, grâce aux pays du G7.
Le chien a commencé à aboyer – Le risque qui menace notre scénario macroéconomique favorable – central – est l’inflation galopante. Il est certain que le rythme de la hausse des prix a dépassé les prévisions et les attentes des banques centrales développées. Il est essentiellement dû aux perturbations prolongées des chaînes d’approvisionnement. Mais la hausse effrénée des salaires et le rattrapage tardif des prix du logement et des loyers la prolongeront jusqu’en 2022. Les banques centrales ont réussi à atténuer les inquiétudes des marchés obligataires. Mais le régime des taux réels – profondément négatifs – devrait faire l’objet de nouvelles attaques. Une inflation galopante est peu probable, car elle nécessiterait une sérieuse dose d’erreurs politiques ou l’adoption de la MMT. Néanmoins, l’inflation sera durablement supérieure au seuil historique (2.0%) de tolérance des banques centrales des pays développés. Elle est également menaçante pour la Chine.
L’inflation sera persistante, voire généralisée, au cours des prochains trimestres. Mais heureusement, elle me compromettra pas la fermeté de la consommation.
Conclusion sur l’allocation d’actifs – Nous considérons toujours que la transition actuelle vers un environnement de boom inflationniste est le scénario le plus probable à l’horizon 2022. Nous maintenons une allocation entièrement investie.
Mais la durée de cette transition jouera un rôle important dans le maintien de conditions financières très favorables aux marchés. Une nouvelle hausse significative des anticipations d’inflation par rapport au niveau élevé atteint récemment entraînerait des temps plus difficiles pour les actifs risqués. La hausse du risque de stagflation n’a perturbé que les marchés obligataires pour l’instant. La recrudescence de la volatilité (mesurée par l’indice MOVE) ne s’est pas répercutée sur les actions (la VIX reste très basse), ni sur le crédit (les spreads dans le haut rendement restent extrêmement serrés). Cette situation mérite d’être surveillée de près.
Devises
Retour vers plus de normalité – Au cours du mois dernier, l’USD a consolidé après avoir testé une résistance clé. Les devises liées aux matières premières se sont fortement reprises et les importateurs de matières premières à faibles rendements ont souffert. Le marché considère le cycle comme davantage porteur pour les devises dites matières premières et une normalisation des taux plus précoce dans la plupart des économies. À l’approche de la fin de l’année, le risque de consolidation est plus important. Plusieurs devises surachetées et survendues ont déjà commencé et continueront à revenir en zone neutre.
Reprise du carry trade – La Fed débutera sous peu le ralentissement de ses achats d’actifs qui prendront fin d’ici mi-2022. Une politique monétaire moins accommodante devrait soutenir l’USD, mais la réaction des devises a été récemment moins évidente. Premièrement, même si la Fed opère un tapering, sa politique restera accommodante. Deuxièmement, le tapering a bien été préannoncé, atténuant son impact potentiel sur la monnaie. Troisièmement, certaines banques centrales du G10 ont devancé la Fed dans cette normalisation. La Norges Bank et la RBNZ ont déjà relevé leurs taux, les attentes de hausses de taux de la BoE ont considérablement augmenté, et la Banque du Canada vient d’arrêter son programme d’achat d’actif et anticipe une 1ère hausse de taux à la mi-2022. Ainsi, alors que les taux US sont repartis à la hausse, leur soutien au dollar a été contrecarré par une hausse généralisée des taux gouvernementaux.
Un environnement toujours peu favorable aux émergents – La hausse des taux US à 10 ans au-dessus des 1,5%, associée à de forts flux en USD et à une éventuelle réduction des liquidités, a créé des forces contraires aux émergents. Notre recommandation demeure négative sur les devises émergentes. Les prix de l’énergie présentent un autre défi, car les dislocations des chaines d’approvisionnement mondiales risquent de persister. Que peuvent faire les banques centrales des marchés émergents pour atténuer un ralentissement de la croissance et d’une hausse des prix ?
D’une part, les politiques de resserrements monétaires ancrent les anticipations d’inflation et tempèrent l’inflation importée, mais dans le même temps, les perturbations de l’offre et les pénuries d’énergie sont exogènes aux décisions des banques centrales. Un resserrement prématuré pourrait avoir un impact négatif sur la demande. De plus, les taux de vaccination n’ont commencé à s’améliorer que récemment.
Obligations
Tapering signifie bien resserrement monétaire – Le modèle économétrique Wu-Xia Shadow Rate permet de quantifier une variation du QE en termes de taux implicites théoriques sans être contraint par le niveau zéro. Comme ce fut le cas en 2014, un tapering impliquerait un retour vers le niveau actuel des Fed Funds, soit un resserrement de 200 pbs au cours des 6 prochains mois.
Avec des incertitudes records sur le chômage, la croissance et l’inflation, y compris un changement des moteurs structurels de l’inflation (de vents contraires à vents arrière), une approche prudente vis-à-vis des anticipations d’inflation est tout à fait raisonnable et défendable. Lorsque l’inflation coeur a franchi les 2,0% en 1966, il a fallu 33 ans pour qu’elle revienne à ce niveau. Bien qu’une telle analogie avec les années 1970 soit incorrecte, cela reste édifiant. Depuis une dizaine d’années, des facteurs structurels ont fait reculer l’inflation. Le taux Fed Funds terminal n’a cessé de baisser conformément aux anticipations d’inflation de moyen terme. De toute évidence, cela est en train de changer, ce qui fait peser des doutes quant à savoir si le taux final du prochain cycle de la Fed ne sera pas plus élevé. Actuellement, le taux terminal anticipé par le marché se situe à 1,75 %. Il a du mal depuis un certain temps à passer au-dessus des « dots » de long terme de la Fed qui se situent à 2,50%.
Les banques centrales se réveillent – La suppression de l’assouplissement des politiques monétaires a commencé avec les banques centrales des marchés émergents au début de 2021. Au cours des 12 prochains mois, le nombre de points de base de resserrement atteindra des sommets depuis une décennie pour les banques centrales du G10 et des émergents. Le marché anticipe un resserrement des pays développés de 564 pbs et de 3380 pbs pour les émergents. C’est un changement radical par rapport au début de l’année.
Des signes d’excès sur le marché du crédit – Le déluge d’émissions a poussé la valorisation du marché des obligations HY au-dessus des 1’500 milliards pour la première fois. Les nouveaux arrivants l’ont propulsé à un niveau record. Un record de 149 entreprises, dont Coinbase et Medline, ont rejoint le segment en 2021. Les entreprises ont soutenu une tendance amorcée par la réponse historique des banques centrales à la pandémie. En septembre, 26 nouveaux émetteurs sont arrivés sur le marché, un record atteint uniquement en avril dernier. Il n’est arrivé que 3 fois que plus de 100 nouveaux émetteurs rejoignent le marché. C’était en 2013, 2014 et 2007. L’augmentation implicite du levier financier due à des conditions financières accommodantes pose certaines questions.
Les changements de notation jusqu’en octobre ont été largement positifs. Cependant, il y a eu une accélération des dégradations, en particulier dans les secteurs où la reprise est lente ou différée. Les promoteurs immobiliers chinois ont été la principale source de dégradations en octobre. Le ratio de dégradations (en pourcentage du nombre total des changements de notation) a augmenté, il y a eu 23 dégradations contre 23 améliorations en septembre. Jusqu’à présent cette année, il y a eu 540 émetteurs qui ont subi une action négative contre 1’491 une action positive. Plus de la moitié des émetteurs avec des améliorations de notation positives avaient subi une ou plusieurs actions négatives en 2020. Jusqu’à présent en 2021, 317 émetteurs ont été dégradés tandis que 505 ont été améliorés. Plus de 80 % des dégradations d’entreprises depuis le début de la pandémie concernent des émetteurs notés High Yield.
Actions
Difficile lecture de l’évolution des bourses – La disruption des chaînes d’approvisionnement et la pénurie de main d’oeuvre font exploser l’inflation et pèsent sur la croissance économique (aplatissement de la courbe des taux). C’est un risque de stagflation, un mot qui risque d’occuper les investisseurs ces prochains mois. Une stagflation temporaire due à la pandémie ou un enracinement de cette dynamique ? On est dans un déficit marqué de l’offre : les consommateurs finaux ne trouvent plus leurs produits, ou les délais de livraison deviennent déraisonnables, et les entreprises doivent décider entre réduire leurs marges ou augmenter leurs prix.
Les résultats du 3ème trimestre montrent bien la pénurie de semi-conducteurs et de main d’oeuvre, ainsi que la hausse des prix des matières premières, mais les sociétés affichent d’excellents résultats et les marges restent élevées. Encore une fois et malgré un environnement pandémique difficile, les entreprises ont publié des résultats supérieurs aux attentes : +33% aux US contre 27.5% estimé il y a 1 mois et +52% en Europe contre 41% estimé.
La hausse des taux d’intérêt reste un facteur négatif, mais pour le moment la prime de risque – Equity Risk Premium – se situe dans une zone neutre, avec un ratio éloigné des niveaux de 2000 et de 2008.
Si la stagflation se confirmait cet hiver avec une accélération des infections Covid dans l’hémisphère nord, impliquant le retour des restrictions sanitaires, on deviendrait plus prudent en favorisant les secteurs Défensif et Value. Les sociétés industrielles ont averti que les résultats du 4ème trimestre seront moins forts en raison des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement. Sans surprise, Apple et Amazon ont déçu avec les résultats du 3T21; comme nous le soulignions, les valeurs de la technologie Covid-proof sont dans une période de comparaison (très) négative par rapport au 3T20 et 4T20. Dès mi-décembre, on sera attentif à la situation globale et on commencera à réévaluer les résultats du 4ème trimestre 2021, qui seront publiés dès mi-janvier 2022, si nécessaire.
Pour le moment, nous maintenons notre biais Banques/Cyclique, car la croissance reste relativement bonne malgré une consommation des ménages américains moins forte qu’attendu en septembre en raison d’un manque d’offre et de prix plus élevés. Le secteur bancaire, que nous surpondérons, a résisté à un violent aplatissement de la courbe des taux. Lors de la publication de leurs résultats, les banques américaines ont souligné que la pandémie était passée et que les prêts et les demandes de cartes de crédit étaient en mode expansion.
Nous restons toujours positifs sur les secteurs qui profiteront des dépenses américaines dans l’infrastructure traditionnelle et verte, soit le ciment, l’acier, l’ingénierie, les machines pour la partie traditionnelle, et les voitures électriques, les batteries, le solaire, l’éolien, le Smart Grid et l’efficience énergétique des bâtiments pour la partie verte.
Avec des performances 2021 dispersées, le bloc émergent a fortement sous-performé le MSCI Monde de 20% en dollars. La faute en revient grandement à la Chine avec des reculs de 6% pour le CSI 300, de 17% pour le Hang Seng China Enterprises et de 30% pour les actions chinoises cotées aux US. La Chine compte pour 32% du MSCI Emergents, suivi de Taïwan 14%, la Corée du Sud 12%, l’Inde 12%, le Brésil 4% et la Russie 4%. L’indice brésilien a reculé de 13% en BRL et de 20% en USD. Mais les autres grands pays émergents ont enregistré des performances boursières en ligne avec les US et l’Europe. La pandémie explique en partie ces performances hétérogènes. Mais la principale explication du grand décalage boursier chinois réside dans les tensions sino-américaines dans le commerce, la technologie, la finance et la géopolitique, et surtout la nouvelle politique sur l’éducation, sur la prospérité commune et la reprise en main des Big tech et des milliardaires. Les difficultés du 2ème promoteur immobilier chinois sont peut-être une aubaine pour stopper la spéculation immobilière, mais se traduiront aussi par une croissance moins forte ces prochaines années, car l’immobilier en a été un puissant contributeur. Il y a un risque que les riches contribuent à la redistribution des richesses. En conclusion, l’investissement dans le bloc émergent doit se faire de manière ciblée et il faut éviter la Chine pour le moment; un nouveau plan de relance pourrait nous faire changer d’avis.
Matières premières
La crise énergétique – La crise énergétique, qui concerne le gaz et le charbon, est principalement due à la géopolitique, au climat et moins à la pandémie, même si le transport maritime est perturbé. Les stocks sont bas à l’entrée de l’hiver. Les prix du gaz, du pétrole et du charbon sont des prix mondiaux : un problème sur un continent et ce sont les prix mondiaux qui s’ajustent. Le gaz concerne l’Europe, qui a préféré acheter son gaz sur le marché spot au lieu de négocier des contrats à long terme, ce que voulait la Russie. La Russie a profité de son softpower avec le nouveau pipeline Nord Stream 2. Les prix du gaz sont en train de reculer suite à l’ordre de Vladimir Poutine d’augmenter les exportations de gaz vers l’Europe.
L’Inde et la Chine sont à court de charbon : les exportations de charbon indonésien se sont réduites en raison d’inondations et la Chine a stoppé ses importations de charbon australien pour cause de guerre commerciale. L’Australie a banni Huawei et ZTE, suivant les US, de son marché des télécommunications et a demandé une enquête internationale sur le virus Covid de Wuhan.
Les cours du pétrole poursuivent leur hausse grâce à une solide alliance entre l’OPEP et la Russie. Avec la forte hausse de l’inflation, les pays consommateurs sont en train de s’organiser pour demander à l’OPEP+ d’augmenter son offre. En sortant du Moyen-Proche Orient pour se réorienter vers l’Asie et se concentrer sur la Chine, les États-Unis ont bouleversé l’ordre mondial et poussé leurs anciens alliés, comme l’Arabie saoudite, à se rapprocher de la Russie.
A court terme, les prix des énergies fossiles devraient reculer grâce à une augmentation de l’offre. Une grave crise énergétique validerait probablement une stagflation, ce que ne peuvent pas se permettre les pays développés, la Chine et l’Inde, dans une pandémie qui a déjà créé pas mal de dégâts. Les pays-producteurs ne peuvent pas non plus mettre à genoux leurs clients. Techniquement, on voit bien le Brent revenir sur les $70 et le gaz sur les $4.50 par million BTU – $5.40 aujourd’hui et $6.50 au plus haut le 6 octobre – voir même $3.50.
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