
Revue mensuelle d’investissement – février 22
Vision globale
Régime macroéconomique de long terme. L’irritation durable de l’inflation détériore les perspectives du cycle économique. Une inflation plus élevée et beaucoup plus volatile remettra en question la durée et l’amplitude des phases d’expansion. En particulier aux États-Unis.
L’évaporation des liquidités alimentera le resserrement des conditions financières. Le ralentissement de l’excès de liquidité se répercute sur la plupart des classes d’actifs et perturbe l’appétit pour le risque.
La pandémie n’est pas encore terminée, mais les chances d’obtenir une immunité collective plus tard en 2022 augmentent. Omicron va peser sur la croissance occidentale à court terme. Il représente un défi plus sérieux à moyen terme pour la Chine, en raison de sa politique de « zéro Covid ».
Géopolitique. Les États-Unis face à un trilemme. L’Ukraine, la région indopacifique (Taïwan) et le Moyen-Orient (Iran) pourraient devenir trois fronts coïncidents.
Débouclement massif des positions spéculatives / à levier. Ventes forcées massives en janvier, notamment de la part d’investisseurs privés surendettés et désabusés.
Corrélation instable entre les actions et les obligations, mais pas encore de changement de régime. La répression financière s’atténue mais les taux réels négatifs resteront en vigueur en 2022. Les taux longs américains se stabiliseront autour des 2.0%.
Une succession de périodes d’aversion/appétit pour le risque en vue. Cocktail d’événements complexes en formation. La géopolitique, une inflation irritante (et une Fed qui manoeuvre), ainsi qu’une politique américaine probablement délicate au second semestre (élections de mi-mandat controversées).
Le brouillard macroéconomique mondial persistera au moins jusqu’à l’été – Les chances d’une année 2022 correcte en termes de croissance sont importantes. Nous nous attendons à ce qu’un régime de « growthflation » se développe en 2022, avec une croissance supérieure au potentiel aux États-Unis et en Europe. L’inflation continuera d’irriter les pays occidentaux et restera clairement au-dessus de l’objectif des banques centrales jusqu’à la fin 2023. La capacité des banques centrales à faire face à des marchés financiers perturbés et à des gouvernements sous pression (démocrates américains) sera déterminante. Dans le cas d’un scénario adverse, un sérieux coup de frein budgétaire pourrait se produire aux États-Unis si l’administration Biden ne parvient pas à faire adopter ne serait-ce qu’un plan Build Back Better de moindre envergure.
Rarement la prévision des perspectives économiques ne s’est révélée aussi délicate. Tout d’abord, la résilience de la pandémie continuera de déclencher des réactions politiques très disparates et de perturber les chaînes d’approvisionnement ainsi que les marchés du travail. Le moment et l’ampleur de l’éventuelle reflation de la Chine sont particulièrement délicats à déterminer. Le risque d’une crise énergétique liée à la géopolitique augmente, non seulement pour le gaz naturel en Europe, mais aussi pour le pétrole dans le contexte de l’Iran. Par le passé, toute crise énergétique grave a fini par faire s’effondrer le cycle économique…
La sérieuse résurgence de l’inflation, ainsi que les atermoiements de la Fed et de la BCE, offrent une bonne assurance que le cycle sera plus court (disons autour de 4/5 ans) que durant les dernières décennies (Grande Modération). Le marché obligataire, c’est-à-dire l’aplatissement incessant de la courbe des taux américains, est catégorique à ce sujet. Les dernières prévisions du FMI (publiées fin janvier) apportent un éclairage à cet égard. La croissance mondiale pour 2022 est revue à la baisse d’un demi-point à 4,4%, pour ralentir à 3,8% en 2023. Pour rappel, une croissance mondiale proche des 3,0% est synonyme de récession.
Conclusion sur l’allocation d’actifs – Malgré les récents soubresauts des marchés, les conditions financières resteront relativement favorables. Il faudrait que le dollar continue de se renforcer et que les taux d’intérêt augmentent beaucoup pour que nous devenions plus prudents. Pour l’instant, nous maintenons une allocation entièrement investie, mais avec un positionnement un peu plus prudent au sein des classes d’actifs. Il est recommandé de rester exposé aux métaux précieux. En tant qu’actif de couverture, la duration américaine devient attrayante avec un taux à 10 ans proche des 2.0%.
Devises
Depuis 2015, l’USD ne va nulle part – Les investisseurs macro qui suivent les tendances ont perdu tout intérêt pour l’USD. La volatilité réalisée sur la période est à son niveau historique le plus bas. Ce qui semble quelque peu contradictoire c’est la force du dollar dans un contexte d’assouplissement des conditions financières records. Le signe de la corrélation a soudainement changé. Récemment, l’USD en tant que valeur refuge en période d’incertitude est soutenu par sa forte corrélation avec l’indice des incertitudes économiques. Plus l’incertitude est élevée, plus l’USD est fort, et vice versa.
Le renforcement du dollar en 2021 était très probablement dû à la surperformance relative de l’économie US face au reste du monde et à l’appétit des investisseurs pour les actions US de croissance. Ces facteurs sont derrière nous. L’attention se portera de nouveau sur la dynamique catastrophique des déficits jumeaux. Pour ceux qui se demandent pourquoi cela ne s’est pas traduit par une faiblesse plus marquée dès 2021, les réponses possibles sont que le taux US à 2 ans était beaucoup plus élevé et qu’il y toujours un décalage temporel de 2 ans.
Cependant, étant donné le positionnement actuel toujours tendu sur la devise, il ne reste plus beaucoup d’investisseurs pour acheter l’USD. De plus, il se négocie dans la partie haute de sa valorisation historique. Même si la valorisation n’est pas un bon outil de timing, il n’en demeure pas moins hors de propos. Au sein du G10, JPY, SEK et NOK sont bon marché, le CHF et le NZD étant les plus chers par rapport à leurs moyennes respectives en termes réels sur 30 ans.
Une histoire différente sur les émergents se dessine – Historiquement, en début de resserrement de la politique monétaire de la Fed, le 1er réflexe est de considérer qu’il n’est pas opportun de revenir sur les devises émergentes. De nombreuses devises à haut rendement du panier des marchés émergents sont bon marché et rémunèrent en termes nominaux et réels. L’an passé a été épouvantable et elles ont le plus sous-performé les devises du G10 en 20 ans. Bien que cela semble une idée dangereuse de les surpondérer cette année où les primes de risque pourraient davantage remonter, cela pourrait s’avérer étonnamment différent grâce au fait que la banque centrale de Chine assouplit sa politique monétaire. L’impulsion du crédit chinois précède la reprise des devises émergentes de 6 mois.
Obligations
Les perspectives d’inflation ne sont pas moins préoccupantes – L’inflation a atteint un pic en 40 ans aux États-Unis (7,0 %) et en Allemagne (5,3 %), tandis que les attentes d’inflation ont récemment reculé. Fin 2021, l’inflation était principalement due à la hausse des matières premières, des prix des intrants et aux composants de base. Cette vérité inconfortable a été reconnue par la Fed. En décembre, elle a décidé de réduire son programme d’achat d’obligations de 15 à 30 milliards par mois et annoncé que ses achats cesseront d’ici mars. La Fed a rapidement cessé d’acheter des TIPS et, par conséquent, fait monter les taux réels et baisser les breakevens. Les anticipations de long terme n’anticipent plus une inflation supérieure à sa moyenne de long-terme.
Powell a ajouté qu’un intervalle prolongé entre la fin du QE et la première hausse des taux n’était pas nécessaire. La Fed relèvera ses taux en mars.
Le resserrement quantitatif arrive – La Fed a procédé à une contraction de son bilan (QT) de 2017 à 2019 et introduit un plafond sur sa réduction mensuelle. La Fed devrait s’abstenir, totalement ou partiellement, de réinvestir le produit des obligations arrivant à échéance, ce qui réduira l’excès de liquidité. La dernière fois, la Fed a commencé prudemment avec un plafond mensuel de 10 milliards, qui a progressivement été porté à 50 milliards. Le QT a finalement conduit à des conditions de liquidité restrictives, la Fed a alors dû acheter des bons du Trésor en 2019 pour la soutenir. Le bilan étant maintenant beaucoup plus élevé, la contraction de la liquidité en dollars devrait être un peu moins sévère, encore plus si la PBoC prend le relais. Nous nous attendons à ce que la Fed réduise son bilan à un rythme proche de 100 milliards par mois (Trésor américain + MBS). Il débutera officiellement au cours de l’été.
La réaction initiale au QT en 2017 a été une hausse des taux longs US. Puis, en 2018/2019, les taux ont baissé alors qu’une nouvelle faiblesse de l’économie US était anticipée et que les marchés se concentraient sur la fin du cycle de hausse de la Fed.
La pression haussière sur les taux longs lors du QT découle en partie de la hausse de la prime de terme. L’idée du QE est de comprimer la prime de terme (pousser les taux longs à la baisse) pour stimuler l’économie. Le contraire se produit actuellement. La prime de terme augmentera en 2022 lorsque la Fed débutera la réduction de son bilan. Cela aura tendance à pentifier la courbe des taux – ou du moins à réduire la pression à son aplatissement. L’incertitude sur les perspectives d’inflation devrait également faire monter la prime de terme.
Le marché a déjà intégré ce scénario. Il escompte actuellement plus de 4 hausses de taux de 25 pbs en 2022, mais seulement un peu plus de 2 hausses de 25 pbs en 2023. Nous trouvons les anticipations pour 2022 trop agressives ; nous voyons également un potentiel pour davantage de hausses de taux dans le futur, en particulier en 2023. Le taux allemand à 10 ans a été brièvement positif pour la 1ère fois depuis 2019 et le taux à 10 ans US se dirige vers les 2,0 %. Nous prévoyons que les taux continueront de progresser en 2022. Bien qu’une hausse des taux de la BCE en 2022 ne soit pas notre scénario de base, nous prévoyons que les marchés intégreront progressivement des hausses de taux pour 2023 et 2024. Le taux US à 10 ans atteindra 2,25% en 2022 et le Bund 0,3%.
Le point d’inflexion des marchés émergents approche – La sous-pondération des investisseurs sur les marchés émergents en devises locales est une situation qui aidera les actifs émergents à se stabiliser et à performer cette année. Les détentions étrangères en obligations émergentes locales montrent des signes de stabilisation à un niveau bas, après plusieurs années de sorties de capitaux et de réduction des risques sur les marchés émergents. L’exposition des étrangers a diminué d’un tiers depuis le pic de 2013. Les réductions les plus importantes ont eu lieu dans la zone CEEMEA, tandis que les marchés obligataires LATAM ont été relativement épargnés. L’exposition asiatique est restée immunisée mais la plus faible à seulement 14%.
Le retour des rendements obligataires émergents vers des niveaux plus élevés s’est rapidement produit, suite à la forte hausse des taux US. Un nombre croissant de pays émergents s’orienteront ces prochains mois vers une stratégie de « vivre avec le COVID ». Cette tendance contribuera probablement à largement apaiser les craintes des investisseurs concernant un scénario de stagflation dans les émergents, devant être remplacé par un scénario de « growthflation ».
Outre le facteur technique positif sur le positionnement des investisseurs, les évolutions mondiales de ces dernières semaines suggèrent que plusieurs vents favorables pourraient bientôt se matérialiser pour les actifs émergents. Le point d’inflexion pour un discours plus positif sur les actifs émergents se rapproche. Un dollar stable ou plus faible en serait le déclencheur.
Actions
Le retour de la diversification sectorielle et géographique – De 2017 à 2021, le Nasdaq a outrageusement dominé les marchés avec une performance de près de 200% comparé aux 88% du S&P 500 Equal Weight, 85% du MSCI Monde, 30% de l’Euro Stoxx, 50% du Nikkei et 42% du MSCI Emergents. Durant la pandémie, l’écart de valorisation s’est fortement accru entre les valeurs technologiques (et autres sociétés spéculatives) et le reste du marché à cause des gigantesques liquidités injectées pour soutenir l’économie.
Avec le resserrement de la politique monétaire de la Fed, on assite à une transition d’un marché de liquidités vers un marché de fondamentaux, impliquant une dévaluation des multiples des valeurs de croissance et le retour de la volatilité. Et surtout, le retour à une diversification en termes sectoriels et géographiques, favorisant les segments Value et cycliques, Finance, Industrie, Matériaux et Energie, ainsi que les régions ayant une composante Value et cyclique prépondérante comme l’Europe et le Japon avec 60% dans leurs indices. Le secteur financier réagit le plus favorablement lorsque les taux d’intérêt montent.
Sans être une grande surprise, le début d’année est difficile pour les bourses en raison d’une saisonnalité défavorable, d’une transition se traduisant par un repricing des hauts PE ratios et de craintes d’un resserrement monétaire de la Fed plus rapide que prévu. A cela s’ajoute une extrême tension entre la Russie, l’OTAN et l’Europe sur l’Ukraine.
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Toutefois, après une chute du Nasdaq de 17%, certaines valeurs de la technologie offrent des opportunités d’achat, en particulier dans les semi-conducteurs à haute valeur ajoutée, qui sont entrées dans des zones techniques très survendues, avec des valorisations plus accessibles.
L’année 2022 devrait dégager une performance positive :
- La progression des profits est attendue à +10% aux Etats-Unis et en Europe pour 2022 et 2023. Les marges resteront élevées ; les entreprises tant dans les services que l’industrie sont confiantes dans leur pricing power, c’est-à-dire de leur capacité à répercuter les prix sur les clients. Aux Etats-Unis, la marge nette du S&P 500 est estimée à 12.8% en 2022, comparée aux 12.6% en 2021 et à la moyenne de 10% entre 2011 et 2020.
- Les analystes anticipent le dépassement des records de 2021 en matière de M&A sur le plan global et de rachats d’actions aux Etats-Unis.
- Si l’histoire se répète, le S&P 500 progresse dans un début de resserrement monétaire par la Fed. Selon Truist Advisory Services, depuis 1950, sur les 12 cycles de hausse des Fed Funds, seule la période 1972-1974 (crise pétrolière) a vu le S&P 500 reculer.
Nous avons toutefois révisé nos objectifs sur le S&P 500 à 5’100 et le Stoxx 600 à 555 pour 2022.
La pandémie et les liquidités ont poussé les investisseurs à acheter des valeurs de croissance et des grandes capitalisations boursières, des segments défensifs dans une économie globale déstabilisée. Les liquidités ont également favorisé les valeurs spéculatives (meme stocks) achetées par les investisseurs Robinhood, bloqués à la maison et recevant des chèques. Les perspectives plus favorables sur l’économie globale avec la normalisation des chaînes de production et d’approvisionnement, ainsi que la fin de la pénurie de main-d’oeuvre, vont rendre le segment de petites et moyennes sociétés plus attrayant.
Matières premières
Le pétrole, entre géopolitique et reprise économique – Le prix du Brent est au plus haut depuis 2014. La cassure des $87 ouvre la voie aux $100 le baril. La demande est plus forte que prévu et l’OPEP+ augmente la production par paliers, alors que les stocks baissent dans les principaux hubs mondiaux. Les niveaux à Cushing, Oklahoma, sont au plus bas depuis 10 ans, alors que la consommation aux Etats-Unis est au plus haut pour cette période depuis 30 ans à cause d’un hiver glacial. Les tensions Russie-Ukraine-OTAN poussent les prix à la hausse. Les prix actuels intègrent une prime géopolitique. La Russie compte pour 10% de la production mondiale de pétrole. Dans le cas d’un conflit militaire en Europe, il fait peu de doute que les cours s’envoleraient ; jusqu’où ? Difficile de le dire. Probablement au-delà des $100-120. JPMorgan l’estime à $150.
La barre des $100-120 franchie ne serait pas une bonne nouvelle pour les marchés financiers, car les investisseurs intègreraient un risque réel de ralentissement économique. Nous doutons que la Russie se lance dans une campagne militaire dommageable et les producteurs sont conscients qu’un prix du baril trop élevé compromettrait la croissance économique mondiale. Techniquement, le Brent est dans une zone fortement surachetée et à court terme nous anticipons un recul des cours. Nous n’achèterions plus les actions des sociétés pétrolières, dans l’attente d’une correction et d’opportunités d’achat. De plus, les prix élevés accélèrent la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis, même si elle est freinée par la hausse des coûts du transport et de l’acier, ainsi que la difficulté d’acheter les équipements nécessaires à l’exploitation de nouveaux puits.
Il y a aussi des facteurs structurels défavorables qui expliquent des cours élevés sur le moyen-long terme, comme pour les métaux industriels d’ailleurs, qui se traduisent par une faible visibilité sur la rentabilité des nouveaux projets. Ces facteurs sont : la géopolitique, le climat, les contraintes environnementales et la transition énergétique. Les compagnies pétrolières craignent d’intégrer les prix actuels pour prendre des décisions d’investissement, car d’ici 2030 la demande devrait baisser avec la transition énergétique. Le consultant Carbon Tracker a lancé un avertissement aux compagnies pétrolières sur la rentabilité des projets d’exploitation en se basant sur les prix actuels ; elles pourraient gaspiller $2’200 milliards au cours de la décennie avec l’avancée rapide des technologies décarbonées. Cette analyse est valable pour le charbon thermique.
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