
Revue stratégique d’investissement
STRATEGIE ET MACRO
Allocation d’actifs
- Un raz de marée de liquidité mondiale
- Une trêve commerciale, enfin
- Fin des craintes de déflation
- Faible probabilité d’une récession mondiale au premier semestre 2020
- QE4 peut-être. Mais pas sûr…
Le monde est devenu de plus en plus complexe au cours des deux dernières années. Dans ce contexte, les mégatendances méritent un examen particulier. Elles prendront un jour le relais des évolutions cycliques et bénignes. Les prévisionnistes les plus pessimistes annoncent l’arrivée prochaine d’un ¨ moment Minsky ¨ qui marquera la fin dramatique de la phase de croissance des cycles économiques et de crédit! Certes, l’augmentation exubérante de la dette mondiale – qui augmente beaucoup plus rapidement que le PIB nominal – est inquiétante. Mais, franchement, il faut être humble : qui peut dire quand une telle séquence brutale d’événements se produira. Quel serait le déclencheur?
Dans la pratique quotidienne, les choses sont parfois beaucoup plus simples, notamment en ce qui concerne les marchés financiers. Le vieil adage, « ne combattez pas la Fed », s’est révélé – une fois de plus – un outil performant et rentable d’allocation d’actifs au cours des derniers mois.
¨Les marchés peuvent rester irrationnels beaucoup plus longtemps que je ne peux rester solvable¨ Citation de John M. Keynes, 1930.
Bien que nous n’adhérions pas à la sombre théorie de Minsky dans notre scénario de base, nous considérons toujours que l’investissement nécessite une marge de prudence. Les facteurs à l’origine de la création de la dernière vague de liquidités, sans précédent, sont préoccupants et le resteront. Pratiquement, il existe également de bonnes raisons de penser que les injections de liquidités futures pourraient décliner, notamment si le marché du refinancement bancaire américain (repo) confirme sa stabilisation.
La visibilité est faible et nous ne sommes peut-être pas si éloignés de la fin des cycles pluriannuels
Mais pour l’instant, le raz de marée de la liquidité des banques centrales a pris le dessus
En route pour QE4?
Les marchés s’attendent à ce que les récentes injections de liquidités de la Fed (via l’achat de bons du Trésor) se transforment en QE4, c’est-à-dire en achats d’obligations du Trésor à moyen et long terme au T120. Cela peut expliquer le calme relatif du rendement des obligations d’État à 10 ans, bloqué au-dessous de la barre symbolique des 2%. En effet, une véritable reprise conjoncturelle, couplée aux besoins de financement importants de l’administration américaine, devrait plutôt se traduire par une normalisation des taux (plus élevés).
Mais la Fed n’a pas encore officiellement reconnu son orientation vers le QE4. Powell a plutôt été catégorique en préconisant des injections de liquidité ¨non-QE¨. S’il a raison, une partie de la liquidité excédentaire se tarirait. Peut-être après la fin du T120, lorsque la demande saisonnière est importante (habillage des banques).
Le doute persiste quant à savoir si nous sommes ou non en route pour le QE4
Un épongement inattendu des liquidités provoquerait de sérieuses turbulences sur les marchés
Perspectives macro
Croisons les doigts
Le gouverneur Carney s’est à plusieurs reprises prononcé pour des mesures préventives afin de lutter contre les risques climatiques. Il existe un – nouveau – consensus parmi les principaux banquiers centraux : les risques climatiques croissants alimentent la stabilité financière et doivent être rapidement traités. Les incendies dramatiques en Australie jouent probablement aussi un rôle dans ce changement de mentalité. Lagarde a également défini la politique sur le changement climatique comme une mission essentielle. Elle envisage d’intégrer le changement climatique dans ses nouveaux modèles de prévision de croissance à moyen terme, d’inflation, de productivité… et de taux directeurs d’équilibre. Les investisseurs applaudissent un tel changement – révolutionnaire – d’approche.
Les indicateurs de contraction économique du marché, comme la pente de la courbe des taux (basés sur les spreads du Trésor), se sont récemment améliorés de ≈40% à <20%. Les économistes pensent maintenant que l’expansion américaine, qui en est à sa 11e année, se poursuivra jusqu’à l’élection présidentielle de 2020 dans un marché du travail sain.
Fait intéressant, les toutes dernières mesures de la PBoC confirment également sa transition vers une approche plus accommodante. Après plusieurs réductions du taux de réserve des banques, elle a finalement repris les injections directes (à partir de novembre 2019).
En bref, la Fed a joué un rôle de premier plan en inondant – à l’excès (?) – l’économie américaine. La banque centrale de Chine vient juste de réagir et d’injecter massivement. Sous une nouvelle direction, la BCE peut également devenir plus accommodante, même si elle pourrait utiliser des moyens d’action très différents.
- Dans l’ensemble, les banques centrales hyperactives ont réussi à dissiper les craintes de récession / déflation
- Ce macro-soulagement se poursuivra à court terme, alimentant la confiance des investisseurs
DEVISES
Déconnexions
Le lien entre les bilans des banques centrales et les devises n’est pas une science exacte. Au cours de la dernière décennie, leur expansion et leur contraction ont coïncidé avec des changements importants dans les niveaux des taux de change. Pendant les périodes d’expansion du bilan de la Fed, l’USD s’est généralement affaibli. Alors que pendant les périodes de ralentissement de la croissance ou de contraction du bilan, l’USD s’est renforcé. Au cours des 4 derniers mois, le bilan a progressé de 413 milliards. Pour le moment, le marché des changes considèrent que les interventions de la Fed sont transitoires et qu’elle ne transformera pas ses T-Bills en bons du Trésor. Compte tenu des derniers commentaires de la Fed, il est difficile de savoirquel est l’avenir de ces achats.
L’EUR/USD semble s’orienter vers une hausse. Les données économiques US, en termes relatifs, ont déçu et sous-performé les données européennes. Le positionnement spéculatif actuel reste long l’USD. Il a été légèrement réduit depuis le T4 suite à l’intervention de la Fed sur le marché du Repo. Il reste de la place pour un ajustement.
Parmi les déconnexions, la plus importante est liée aux monnaies défensives. Habituellement, le CHF et le JPY sont très corrélés. Cependant, depuis la mi-novembre, le lien semble rompu. Le JPY est resté stable dans un environnement d’appétit pour le risque. Le CHF s’est étonnamment renforcé tandis que le risque lié au Brexit s’est atténué. Toute résurgence inattendue de risque devrait soutenir le JPY.
OBLIGATIONS
Politiques monétaires en pause
La Fed et la BCE ont confirmé qu’elles prenaient une pause en 2020. Le virage accommodant des banques centrales qui a soutenu les marchés en 2019 est largement derrière nous. La Fed a déjà injecté 413 milliards ces 4 derniers mois, à un rythme plus rapide que lors de son QE3 entre 2012 et 2014. La création actuelle de nouvelles réserves ne vise pas à stimuler l’économie, la Fed se concentrant sur les T-Bills plutôt que sur les bons du Trésor.
Les deux banques ont fait preuve d’un optimisme prudent quant aux perspectives de croissance, en partie en raison de leurs politiques accommodantes. La Fed et la BCE conservent un biais accommodant. Les chances d’une nouvelle baisse de la Fed sont faibles tandis que la BCE s’inquiète des effets secondaires consécutifs aux taux négatifs.
Les deux banques centrales ont légèrement relevé leurs prévisions d’inflation. Mais la BCE reste plus éloignée de son objectif de stabilité des prix et – selon les marchés et le consensus – restera en deçà jusqu’au T4 2022. La faiblesse de l’inflation rend une nouvelle dose d’assouplissement plus probable en zone euro qu’aux États-Unis, où l’inflation est proche de l’objectif de la Fed. Pourtant, les marchés ont banni tout nouvel assouplissement de la BCE, tout en conservant une probabilité de 50% d’une nouvelle baisse de la Fed cette année.
L’absence d’inflation est une hypothèse forte
Dans ses minutes de décembre, la Fed a indiqué sa volonté de maintenir ses taux stables jusqu’à une remontée de l’inflation, même si cette dernière est restée en-dessous de son objectif de 2% après plusieurs baisses en 2019. La Fed souscrit à l’idée de laisser l’inflation dépasser son objectif. Pour éviter un scénario identique à l’Europe ou au Japon.
Elle est également sur le point de clore son examen de ses outils de politique monétaire. Elle envisage d’introduire une stratégie d’habillage, permettant de relever temporairement l’objectif d’inflation après des périodes de déconvenues.
Alors que l’inflation est toujours inférieure à son objectif, les anticipations restent inférieures à son indicateur préféré d’inflation , le PCE de base. Il est tombé à 1,6% le mois dernier, après avoir été plus proche de 1,8% l’année précédente.
Les break-evens paraissent bas et offrent un potentiel de hausse, car les mesures fiscales deviennent l’outil privilégié pour soutenir la croissance. Compte tenu de l’escalade récente des tensions américano-iraniennes, une tendance légèrement positive sur le pétrole pourrait faire monter les prix. L’an passé, les investisseurs ont largement évité les indexées à l’inflation. Selon State Street, les flux vers les ETFs investis dans des actifs indexés à l’inflation n’ont représenté que 1% des 260 milliards investis dans les produits obligataires. Cela pourrait changer non seulement parce que la Fed encourage les prix à monter, mais aussi parce que les perspectives de croissance restent positives.
Fissures sur le marché du crédit
Les signes de fragilité du marché de la dette privée se matérialisent. Les investisseurs surveillent le marché des prêts à effet de levier « Leverage Loans », car il s’agit d’un baromètre des conditions de crédit.
Le resserrement des conditions de crédit pourrait entraîner un ralentissement des prêts aux entreprises ou même aux consommateurs. Le marché des prêts à effet de levier s’est considérablement développé ces dernières années, soutenu par la création de CLO et la recherche de rendement dans un environnement où les banques centrales ont poussé les capitaux vers les actifs risqués. Selon S&P, le ratio des downgrades sur upgrades ces 12 derniers mois a atteint son plus haut niveau depuis 2009. 282 émetteurs ont été dégradés en 2019, contre 244 en 2018 et 33 en 2017. Les Leverage Loans sont des dettes notées high yield.
Ceci est corroboré par les défaillances des prêts automobiles (4,8%) et des cartes de crédit (8,2%), qui augmentent depuis 2014. Un récent rapport du Financial Stability Board a mis en garde contre les risques pour le système financier mondial posés par les Leverage Loans, citant la baisse qualité de la dette des entreprises et la modification de la documentation. Enfin, les évaluations sur l’ensemble du spectre du crédit semblent chères.
Les dettes émergentes affichent un ratio rendement risque attrayant
La dette émergente continue d’offrir un profil rendement ajusté au risque plus solide que la plupart des autres segments. Cette tendance devrait persister et ce même si le sentiment s’améliore. Les obligations émergentes en devises locales et en devises fortes affichent le ratio le plus élevé de la crise financière. Compte tenu du manque de demande l’an passé, elles devraient attirer davantage de capitaux cette année.
ACTIONS
Après une année boursière exceptionnelle, dans un environnement adverse, soutenue en seconde moitié d’année par les injections de liquidités de la Fed, nous restons positifs sur les actions. Ce bull market, âgé de 10 ans, reste le plus mal aimé de tous les bull markets.
Le pari reflationniste
Depuis l’automne 2019, les investisseurs jouent la reflation, en espérant une accélération de la croissance globale en 2020 et une progression des profits. Les indicateurs manufacturiers soft ont arrêté de se détériorer, voir même s’améliorent en Chine et aux Etats-Unis. L’inflation semble se redresser. Les indicateurs de liquidité signalent que lecycle d’activité mondiale devrait se redresser.
En 2018 et 2019, la bourse américaine a profité d’importants programmes de rachats d’actions (Apple comptant pour 27%) et de versements de dividendes, en retournant plus de $1’000 milliards aux actionnaires. 2020 sera moins soutenant pour les rachats d’actions.
Progression des profits en 2020
Les profits devraient se redresser en 2020. L’approche bottom-up de Factset, Lipper Alpha Refinitiv et Bloomberg Intelligence anticipe une hausse de 10% des profits, tant dans les pays développés que les pays en développement. En 2019, les profits US ont eu une croissance de zéro et ils ont reculé de 2% en Europe, ce qui n’est, pour finir, pas si mal compte tenu du recul du commerce mondial dû à la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, et les menaces américaines sur ses partenaires commerciaux,européens en particulier.
La hausse des profits viendra d’une amélioration du commerce mondial, mais aussi d’un effet de base des secteurs Energie, Matériaux, Industrie et Technologie. L’Energie et les Matériaux devraient profiter de prix des matières premières plus élevés. Le prix moyen du Brent était de $64 le baril en 2019 comparé à $72 en 2018 ; nous estimons une fourchette entre $70 et $80 en raison d’une hausse de la demande, de la baisse des stocks mondiaux et d’un rythme moins soutenu de la production US. La Technologie, comptant pour 25% du S&P 500 et 17% du MSCI Monde, a rehaussé ses perspectives pour le T4 19 et 2020.
Le mois d’avril 2020 (publication des résultats du T1 20) sera important pour valider ou infirmer les estimations optimistes (mais pas irréalistes) de 2020, avec une progression attendue de 10% des bénéfices US. Les plus importants contributeurs seront l’Energie et les Services de communication. L’Europe devrait voir ses profits grimper de près de 8%. Dans l’immédiat, on va s’attacher aux publications en cours des résultats du dernier trimestre 2019, qui devrait être un non évènement, les investisseurs se focalisant sur 2020.
Expansion des multiples. La situation est différente de 2018 : la Fed est de retour
La hausse des indices en 2019 s’est évidemment faite par l’expansion des multiples, puisque la croissance des bénéfices par action a été nulle ou négative selon les régions. Pratiquement tous les indices sont environ 15% au-dessus de leur moyenne historique des 10 dernières années en termes de PE ratios. Si l’on prend d’autres ratios, comme la Valeur d’Entreprise, la Valeur d’Actif Net, on observe également que les évaluations boursières sont élevées. Mais la situation est différente de 2018 : les évaluations montaient, alors que la Fed était de plus en plus restrictive. Aujourd’hui, la réévaluation ne nous paraît pas anormale, alors que la Fed est clairement accommodante, l’inflation reste basse et les perspectives macro s’améliorent.
Les évaluations boursières peuvent encore monter et les indices progresser si les anticipations des investisseurs sont justes, soit une réaccélération des profits en 2020.
Un risque relatif réside dans la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt si l’accélération économique globale a bien lieu en 2020, ce qui pourrait affecter les multiples. Sur le très long terme, le régime de l’inflation est important, puisqu’il détermine le régime des évaluations boursières. En période d’inflation basse, les PE ratios sont élevés et inversement. Mais à court terme et tactiquement , une reprise de l’inflation est plutôt positive pour les actions : elle améliore les perspectives sur les profits, même si les marges pourraient être sous pression pour certains secteurs.
Dans ces phases reflationnistes, les investisseurs ont plutôt tendance à favoriser le segment Value/Cyclique ayant des PE ratios bas : Energie, Matériaux, Industrie, Banques, Semiconducteurs.
On va donc surveiller attentivement les données manufacturières globales et l’inflation ces prochaines semaines. Les actions restent toujours aussi attrayantes en termes de primes de risque et de comparaison rendement des obligations/ rendement des dividendes.
MATIERES PREMIERES
L’environnement semble meilleur pour les matières premières
L’amélioration des perspectives de croissance et des marchés émergents seront positives pour les matières premières. Cela implique la confirmation d’une reprise industrielle en Chine et des ventes automobiles en hausse, un secteur gourmand en métaux industriels.
Un accord commercial, même partiel, entre les Etats-Unis et la Chine, stabiliserait les chaînes d’approvisionnement . Entrant dans la lutte pour l’élection présidentielle, Donald Trump devrait réduire les pressions sur ses partenaires commerciaux, la Chine en particulier, pour favoriser une relance économique globale et assurer sa réélection en novembre.
Les prix des matières premières ont souffert de la force du dollar et d’un environnement déflationniste/ désinflationniste. Nous pensons que le dollar va faiblir et que l’inflation montre des signes de reprise.
Le cuivre sera le grand bénéficiaire. En 2019, la demande était plus faible et les producteurs chinois ont réduit leur production de 6%. A plus long terme, la demande va croître avec le développement des véhicules électriques, qui utilisent 4 fois plus de cuivre que les voitures traditionnelles, et les nouvelles technologies pour la production d’électricité verte.
Le prix du Brent devrait se situer dans une fourchette $70- $80 en 2020. La demande devrait s’améliorer et les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine se réduire. Du côté de l’offre, l’accord OPEP+ semble solide et les Etats-Unis, qui sont le 1er producteur mondial, ne devraient plus produire au même rythme que ces 2 dernières années. En 2018, les prix du pétrole ont été insensibles aux tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et l’Iran, le marché se concentrant sur la croissance économique et la guerre commerciale US Chine. Si le pari reflationniste se confirme, alors les prix du brut se renforceront.
L’or est une de nos convictions depuis plus d’un an. La dédollarisation (très progressive) du commerce en Asie et les importants achats des banques centrales des pays émergents, qui sont des facteurs structurels, et la baisse des taux d’intérêt réels US, sont favorables à une poursuite de la hausse du cours de l’or.
ALLOCATION D’ACTIFS
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