Revue mensuelle d’investissement

Juin 08, 2022 - 16 min à lire

Vision globale

vision globale

Régime macroéconomique à long terme. Des cycles plus courts et plus risqués qu’au cours des dernières décennies. Les déséquilibres, la dette, la résurgence de l’inflation et la géopolitique entraînent une augmentation de la cyclicité et des variations des cycles économiques

Les conditions financières (CF) des États-Unis et de la Chine en voie de neutralisation. La décélération de la liquidité mondiale depuis fin 21 se poursuit. La hausse concomitante de l’USD, la correction des actifs risqués et l’élargissement des spreads ont – déjà – amené les CF sur le point d’être neutres aux États-Unis. Premiers signes de CF plus accommodantes en Chine

La stagflation est le scénario de base en 2022. En définitive, un atterrissage en douceur reste possible aux États-Unis. L’Europe a peu de chances d’échapper à la récession, tout comme la Chine, si elle n’accentue pas son impulsion budgétaire

La géopolitique reste critique / trépidante. Les guerres sont perturbatrices et finalement inflationnistes. Elles entraînent une prime de risque plus élevée pour les marchés financiers

La peur et la volatilité réalisée ont entraîné d’importantes sorties de capitaux. La volatilité accrue des actifs et la peur grandissante ont entraîné des appels de marge et des ventes forcées de la part des investisseurs individuels

Corrélation instable entre actions et obligations, mais pas de changement de régime définitif. Le régime de longue date des taux réels négatifs est de plus en plus mis à l’épreuve. Le risque d’un atterrissage brutal a récemment restauré l’attrait des actifs riches en duration.

Le re-pricing / correction se traduit par des évaluations moins généreuses. La combinaison de facteurs fondamentaux détériorés va générer une succession de périodes de risk-on/off au cours des prochains trimestres. A moins que ¨quelque chose¨ ne se brise entre-temps…

 

L’action des marchés a – de loin – précédé celle de la Fed – La volteface de Powell a déclenché un resserrement inhabituellement rapide et brutal des conditions financières américaines. Toutes les composantes des CF ont en fait contribué à cette hausse : un dollar plus fort, des taux plus élevés, des spreads plus larges et un marché des actions en correction. Selon sa relation historique avec l’évolution des conditions financières, l’ISM américain pourrait bientôt atteindre un niveau inférieur à 50, ce qui laisse présager un sérieux ralentissement, voire une récession. Le marché du logement donne des signes d’épuisement en raison de la double action de la hausse des taux des bons du Trésor et de la prudence accrue des banques, ce qui entraîne une augmentation des écarts de taux. Ce secteur est un contributeur important à la croissance et un vecteur important de l’effet de richesse.

Le resserrement des CF entraînera une croissance plus faible

Les élections de mi-mandat de novembre se dérouleront dans un climat politique interne délétère. Le président est au plus bas dans les sondages, les démocrates sont certains de perdre le contrôle du Sénat, voire de la Chambre des représentants. Au mieux, nous nous dirigeons vers une cohabitation, et donc la paralysie des initiatives budgétaires de l’administration Biden. Au pire, nous nous dirigeons vers une crise institutionnelle si les Républicains, menés par Trump, poursuivent leur défiance institutionnelle. Ce n’est pas un climat propice à une hausse des taux directeurs, a fortiori si l’économie prend du plomb dans l’aile.
La Fed devrait renoncer à sa rhétorique belliciste au second semestre
Elle pourrait même faire une pause autour des élections de mi-mandat

 

Conclusion sur l’allocation d’actifs – Les flux de vente très importants et la psychologie extrêmement pessimiste des investisseurs privés sont plutôt rassurants : la première phase / vague de re-pricing / retour à la normale est bien engagée. Les valorisations des actifs financiers, qui étaient parfois exubérantes, commencent également à revenir à la normale, notamment avec la disparition progressive des taux négatifs. Toutefois, la composante macroéconomique restera mal orientée au second semestre. L’irritation inflationniste n’est pas terminée.

On voit mal comment les marchés financiers pourraient durablement repartir à la hausse dans ce contexte encore très perturbé. L’incertitude géopolitique prévaudra et maintiendra également la pression, en profondeur.

 

Devises

Fin de la hausse effrénée du dollar – Mi-mai, l’indice du dollar atteignait son plus haut niveau depuis décembre 2002 au-dessus des 105. Il avait gagné 7,5% au T2, 9,8% en 2022 et 17% sur un an. Compte tenu de cette envolée, il sera difficile de répéter un tel mouvement sans que les perspectives de la politique monétaire US et les taux n’évoluent encore en faveur de la devise, ou qu’une autre détérioration de l’appétit pour le risque soutienne les actifs refuges.

Le dollar demeure historiquement élevé

La Fed devrait rester restrictive. Elle devrait relever les taux à un rythme soutenu, avec une hausse de 50pbs en juin et juillet avant de passer à 25pbs lors des autres réunions de 2022. Powell a averti que la Fed continuera d’augmenter les taux jusqu’à ce qu’il y ait des preuves « claires et convaincantes » que l’inflation recule.

Le taux d’intérêt neutre est estimé à 2,5%. Cependant, comme le marché s’attend à ce que les Fed Funds atteignent 2,75% d’ici la fin de l’année, une politique monétaire restrictive est déjà intégrée. Il y a moins de chances qu’un ton encore plus restrictif pousse l’USD à la hausse. En outre, la divergence de politique qui avait soutenu l’USD face à la plupart de ses pairs est en train de s’estomper alors même que ces banques centrales continuent de relever leurs taux. D’ailleurs, les taux US ont atteint leur pic début mai, juste avant que l’indice USD n’atteigne son point haut. Ainsi, les haussiers sur l’USD seront dépendants de l’appétit pour le risque pour le maintenir à un niveau élevé.

L’USD a légèrement reculé depuis son sommet de 20 ans. Le momentum derrière la position longue devrait s’estomper
Seules les périodes de faible appétit pour le risque et d’incertitude pourraient stimuler la demande refuge pour l’USD. Cependant, il a désormais intégré le resserrement total de la Fed. La perspective d’une hausse des taux d’autres banques centrales devrait faire reculer le dollar

Un rattrapage de l’EUR est en cours – L’EUR a passé la première quinzaine de mai à sous-performer l’USD et le JPY, valeurs refuges, et a atteint un point bas de 20 ans. Cela a été un déclencheur pour le marché des devises afin de repenser les zones de valeur. L’USD est déjà très élevé et la BCE signale qu’elle est très proche d’une hausse des taux. La dynamique politique devrait évoluer en faveur de l’EUR.

La rhétorique de la plupart des membres de la BCE est devenue de plus en plus restrictive ces derniers mois. La prochaine annonce de la BCE le 9 juin devrait signaler qu’une hausse des taux aura lieu en juillet. La BCE sortira des taux négatifs d’ici septembre. La première hausse des taux de la BCE depuis 2011 devrait être favorable à l’EUR.

 

Obligations

La mentalité du marché a clairement changé – Le MOVE, l’indice de volatilité implicite des taux US, a atteint son plus bas niveau depuis le début de l’année. Cette stabilisation est un signe positif. Le marché du Trésor américain a affiché sa 1ère performance mensuelle positive depuis novembre dernier. Après s’être concentré sur l’inflation ces derniers mois, le marché fait face à des risques de récession profonds et plus rapides que prévus. Les anticipations d’inflation sont en passe d’afficher leur plus fort recul depuis mars 2020. Les marchés semblent désormais convaincus que la Fed, ou tout autre facteur, seront en mesure de contenir l’inflation sur le long terme.

La volatilité des obligations diminuera avec la baisse des taux longs

 

Détermination des banques centrales – Le président Powell a récemment souligné que la Fed devait voir l’inflation baisser de manière claire et convaincante et qu’une légère hausse du taux de chômage était le prix à payer pour parvenir à la stabilité des prix. Les récents indicateurs d’activité ont déçu avec une baisse plus importante que prévu du PMI et une forte baisse des données immobilières. Cela alimente les craintes qu’une récession se produise plus tôt aux États-Unis.

Après avoir anticipé des hausses des Fed Funds de plus de 75pbs en 2023, les investisseurs ont fortement rétropédalé. Le marché obligataire s’attend désormais à la fin du cycle de resserrement, ou au moins à une pause, d’ici mi-2023.

Plusieurs membres de la BCE ont confirmé la nécessité de rapidement sortir des taux négatifs. Tous annoncent déjà une hausse en juillet, après la fin des achats d’actifs. Le marché en tient pleinement compte et s’attend maintenant à des hausses de taux plus rapides, mais avec le même ajustement total.

Lagarde et d’autres membres de la BCE continuent de souligner que la normalisation des politiques devrait être guidée par les principes d’optionnalité, de progressivité et de flexibilité. Il est essentiel d’ancrer les anticipations d’inflation à long terme avec une normalisation crédible de la politique monétaire. Le rythme de la normalisation devra être calibré pour réduire l’incertitude sur l’inflation future. Ainsi, le rythme des hausses de taux pourrait dépendre du degré de ralentissement économique. Contrairement aux États-Unis, qui sont en situation de demande excédentaire, cela justifiera un ajustement plus lent en zone euro. Les membres de la BCE ont confirmé que le taux d’intérêt naturel est bien en territoire positif, entre 1% et 2%.

Evolution anticipée des Fed Funds pour 2023

Les changements dans l’aversion au risque dictent l’évolution des prix. La hausse des taux de la BCE devrait être plus rapide mais pas plus élevée
Les taux longs ne repartiront à la hausse que si l’appétit pour le risque et les surprises économiques rebondissent fortement

Moments compliqués pour le marché du crédit – Les obligations Investment Grade (IG) et High Yield (HY) ont toutes deux été sous pression tout au long de l’année, mais une grande partie de cette détresse est due à la hausse des taux et à l’élargissement des spreads de crédit plutôt qu’à la détérioration des fondamentaux des entreprises.

Étonnamment dans un tel contexte, la taille du marché des obligations IG a continué de croître, atteignant 4’900 milliards de dollars en avril, les nouvelles émissions de dette se tenant relativement bien. Les « upgrades » du HY vers l’IG ont contribué positivement à la croissance du marché depuis le T4 2021, ajoutant 72 milliards.

Jusqu’à maintenant, les émissions IG sont en recul de 14% tandis que le HY est en baisse de 75%. Les nouvelles émissions se normalisent près du niveau de 2019, après 1’000 milliards émis en 2020 à la suite de la pandémie. Les échéances totales de l’IG atteindront 156 milliards en 2022, 272 milliards en 2023 et 302 milliards en 2024. Le marché devra encore digérer d’importants montants d’émission supplémentaires sans l’intervention des acheteurs de dernier recours, les banques centrales.

Les sociétés notées BBB dominent le marché obligataire IG (60%). Les dégradations en HY – compte tenu des risques de ralentissement économique actuels – réduiront la taille du marché IG et élargiront les spreads des obligations les moins bien notées. L’IG surperformera le HY.

 

Actions

Rally dans un bear market ou correction dans un bull market ? – On a frôlé le bear market pour les indices globaux américains et européens, selon la définition classique d’une correction supérieure à 20%. Le Nasdaq y est entré allégremment avec un recul de 32% entre le plus haut (fin novembre) et le plus bas (mimai). Pour définir un bear market, l’ampleur de la correction n’est pas le seul facteur, il faut qu’il y ait également une notion de durée. En mars 2020, la baisse de 35% du MSCI Monde était une violente correction, plutôt qu’un bear market.

Le rallye, débuté le 20 mai, est le fruit d’une conjonction de facteurs favorables : 1) Techniquement, les indices étaient survendus et une configuration de double-bottom s’était mise en place avec l’apparition d’un support, 2) Le repli des taux d’intérêt, la baisse du dollar et un possible pic de l’inflation US en mars ont relâché les pressions vendeuses sur les actions, 3) les indicateurs de sentiment des investisseurs étaient en zone (très) pessimiste, en général un bon signal pour un rebond des indices boursiers et 4) La Chine a commencé à désserer les restrictions sanitaires, en particulier à Shanghai.

Les résultats du 1er trimestre 2022 se sont avérés bien meilleurs qu’attendu, avec une hausse de 9.2% des profits (4.6% escompté début avril) et de 13.6% des revenus pour les sociétés américaines, et de respectivement 11% et 25% pour les sociétés européennes. Malgré les problèmes de disruptions et d’inflation, les perspectives restent étonnament bonnes. La croissance économique chinoise sera un élément important de la santé des résultats des sociétés occidentales; après des mesures ciblées, le gouvernement chinois pourrait lancer des programmes de relance plus vastes avec la fin des confinements.

Le recul de l’indice des conditions financières de Goldman Sachs explique aussi le rebond des actions. L’indice ajusté des conditions financères de la Fed de Chicago est également en train de se retourner. La semaine du 25 mai a vu les premiers achats nets dans les fonds en actions depuis début avril, principalement au profit des US et de l’Asie.

Tous ces éléments privilégient une poursuite du rallye, mais nous restons prudents vis-àvis de la croissance économique future. Nous pensons que le rebond est une opportunité d’un changement d’allocation sectorielle vers les secteurs défensifs, Consommation de base, Pharma et Producteurs d’électricité. Et dans un monde de confrontations Occident-Chine/Russie et de protectionnisme/nationalisme économique, les matières premières et la défense sont deux secteurs à privilégier. Des études historiques montrent qu’en période de stagflation (inflation élevée/croissance économique faible), comme dans les années 1970, l’énergie et les produits agricoles se comportent bien et sont les seules classes d’actifs traditionnelles à dégager des
rendements positifs en termes réels. Combattre l’inflation par une forte hausse des taux d’intérêt sera difficile en raison d’un niveau de dettes publiques très élevé.

Nous maintenons une neutralité sur les actions américaines, sous pondération européennes, alors que nous surpondérons les actions Suisses.

La relative faiblesse du dollar et la baisse des taux d’intérêt US offrent une fenêtre de tir pour revenir sur les actions émergentes. Mais c’est un mouvement très tactique, car les actions émergentes sont le maillon faible dans l’environnement actuel : disruptions diverses, Covid, prix élevés de l’énergie et de l’alimentation, dérèglement climatique, globalisation régionaliée, protectionnisme/nationalisme, croissance économique globale faible, transition énergétique. On évite les pays émergents importateurs d’énergie et de produits agricoles. Les sorties des fonds investis en actifs émergents sont les plus élevées depuis 30 ans. Les actions émergentes devraient devenir plus intéressantes, lorsque l’attention des banques centrales se portera plus sur la croissance que sur l’inflation.

La Chine est une grande inconnue. L’économie ralentit et le secteur immobilier est sous stress. Les fonds en actions chinoises ont enregistré les plus importantes sorties d’argent. Le Parti communiste a repris en mains la société chinoise pour revenir aux grands principes du communisme et le contrôle des effets “pervers” de la technologie, des jeux en ligne et des réseaux sociaux sur les enfants. La Chine veut imposer un nouvel ordre sécuritaire mondial, avec la Russie, avec le Global Security Initiatives (GSI) pour contrer l’OTAN et le Quad. Le sort de Taïwan revient sur le devant de la scène avec l’invasion russe en Ukraine. Pour les investisseurs institutionnels américains et européens, les actions chinoises représentent un risque.

 

Matières premières

Hausse globale des matières premières – La pandémie, puis la guerre en Ukraine, ont montré la fragilité de la globalisation et l’interdépendance néfaste des économies, et fait resurgir les tensions entre les blocs US/Europe/Japon/Australie et Chine/Russie. L’Inde est pour le moment à part, puisqu’elle reçoit ses énergies fossiles et ses armes de la Russie et s’appuie sur les Etats-Unis pour contrer la Chine.

Cet environnement compliqué, accentué par le changement climatique, se traduit par une hausse des prix de l’énergie et des biens agricoles. Les métaux industriels sont en retrait à cause de la Chine en raison des confinements qui ont stoppé en partie l’économie et de la crise immobilière; la Chine comptait pour 25% à 50% de la demande mondiale. Les investisseurs manquent de visibilité sur une reprise économique chinoise pour revenir sur les métaux, mais ils pourraient s’y intéresser à nouveau si la Chine annonçait des plan de soutien d’envergure.

Bruxelles a annoncé un embargo sur le pétrole russe jusqu’à 90% d’ici à la fin de l’année, avec une exception temporaire pour l’oléoduc Droujba (les 10% restants) qui fournit la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie. Cet embargo a provoqué une hausse du pétrole du pétrole à cause d’une offre mondiale tendue. 36% des importations européennes de pétrole venaient de Russie et 75% du pétrole russe venaient par bateau. Si l’OPEP+ n’augmente pas sa production et la demande chinoise repart cet été, on risque bien de voir les cours du pétrole monter fortement. Il n’est pas sûr que cet embargo soit dommageable pour la Russie, car la baisse des volumes est compensée par une hausse des prix, mais l’Union européenne et le UK ont apporté une réponse pour faire mal à la
Russie : ils viennent d’interdire aux assureurs d’assurer les bateaux transportant du pétrole russe, fermant la porte à la Russie à l’accès du 1er marché mondial de l’assurance et de la réassurance du Lloyd’s à Londres

Performances des matières premières en 2022

Un événement majeur pourrait détendre les prix du brut : certains membres de l’OPEP chercheraient à exclure la Russie de l’accord OPEP+. L’embargo nord-américain et européen sur le pétrole russe pourrait forcer la Russie à produire moins et obliger l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis et d’autres producteurs à produire plus. On reste donc investi sur les valeurs pétrolières et gazières, en particulier américaines qui sont les grands gagnants pour les prochains mois, avant que d’autres fournisseurs du GNL apparaissent plus tard comme le Qatar, l’Algérie, l’Australie et le Japon.

 

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